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BRUXELLES — Lorsque Ursula von der Leyen a dévoilé son équipe pour la prochaine Commission européenne, elle a en même temps fait taire les sceptiques qui doutaient qu’elle était la véritable cheffe à Bruxelles.
Quand la liste et la répartition des rôles des 26 commissaires ont été révélées, un élément a sauté aux yeux : l’Allemande devrait avoir un contrôle sans entrave sur la politique de l’Union européenne. En quelques minutes, elle a présenté un titre important avec peu de responsabilités pour l’un des pays les plus puissants de l’Union européenne, promu ses proches, et dilué des portefeuilles puissants en les divisant entre plusieurs personnes.
La prise de pouvoir est accomplie.
“Elle aura encore plus le contrôle de tout”, commente une source européenne, dont l’anonymat a été garanti pour pouvoir s’exprimer librement, comme d’autres personnes citées dans cet article. “Qui aurait pu penser que c’était possible ?”
C’était l’aboutissement de mois de stratégie publique et privée visant à éliminer les voix dissidentes de son premier mandat de présidente de la Commission européenne. De la première équipe, il ne reste plus aucun opposant. Des personnalités telles que le Français Thierry Breton et le Néerlandais Frans Timmermans ne sont plus de la partie.
Durant son premier mandat — au cours duquel elle a dû faire face à une pandémie mondiale et à une guerre aux portes de l’Union européenne —, elle a acquis la réputation de prendre des décisions unilatérales, d’outrepasser ses attributions, d’exclure les autres dirigeants européens de la prise de décision et de ne s’adresser qu’à une poignée de conseillers. Résultat, cela lui a valu le surnom de reine Ursula à Bruxelles.
Le matin où von der Leyen a annoncé la composition de sa deuxième équipe, elle a refusé de dire au Parlement européen — qui devra confirmer ou non ses choix — qui elle affectait à quel poste. Au lieu de cela, elle a quitté une réunion avec les principaux dirigeants du Parlement et s’est rendue directement à une conférence de presse au cours de laquelle elle a révélé tous les détails. Elle a ensuite été accusée de “mépris” envers le Parlement.
Quelques heures auparavant, elle avait convaincu les Français qu’elle confierait à leur commissaire désigné un poste exceptionnellement important s’ils remplaçaient Thierry Breton. Mardi, lorsqu’elle en a révélé les détails, les Français ont réalisé qu’ils avaient été trompés et qu’ils avaient obtenu un portefeuille édulcoré.
“Quiconque pensait qu’elle aurait pu changer son style, sa volonté de garder un contrôle restreint, était pour le moins naïf”, a déclaré un diplomate de l’UE.
Une Commission d’égaux ?
Les mots utilisés pour qualifier les 26 commissaires, un pour chaque pays membre de l’UE (à l’exception de l’Allemagne, dont von der Leyen est la commissaire) étaient diplomates, voire rassurants.
Elle leur a dit qu’ils étaient un groupe d’“égaux”.
Déchirant l’ancien organigramme, Ursula von der Leyen a déclaré qu’elle débarrassait la Commission des “anciens cloisonnements relativement rigides”, rendant ainsi l’institution moins hiérarchique.
Elle a affirmé que cela permettrait une plus grande coopération entre les commissaires et leurs administrations, et leur donnerait une “responsabilité égale” dans la réalisation de leurs priorités. Mais des diplomates et hauts responsables européens, y compris certains de ses propres employés à la Commission, disent que cette nouvelle structure permettra à la présidente de diviser pour mieux régner.
“Je ne pense pas que soit un bug, mais une caractéristique du système du nouveau collège”, estime René Repasi, chef de file des sociaux-démocrates allemands au Parlement européen, à propos de la stratégie de von der Leyen.
Si les sociaux-démocrates (S&D), deuxième force politique de l’hémicycle, ont obtenu un mégaportefeuille pour l’Espagnole Teresa Ribera, incluant le puissant poste de la Concurrence, pour les autres postes ils se sont retrouvés avec des maroquins moins importants et des titres ronflants. Ursula von der Leyen a annoncé que la Roumaine Roxana Mînzatu, candidate S&D peu connue, serait vice-présidente exécutive chargée des Ressources humaines, des Compétences et de la Préparation.
La présidente de l’exécutif bruxellois a aussi choisi des fidèles tels que le Slovaque Maroš Šefčovič, le Letton Valdis Dombrovskis et le Néerlandais Wopke Hoekstra pour être “les chiens de garde” qui tiennent leurs nouveaux collègues, relève un deuxième diplomate européen.
Elle s’est même montrée impitoyable avec son allié Emmanuel Macron qui, avec l’ancienne chancelière allemande Angela Merkel, avait fait pression pour qu’elle ait la présidence de la Commission en 2019.
La veille de la présentation de la nouvelle équipe, la France a remplacé Breton par Stéphane Séjourné, moins expérimenté, à qui von der Leyen avait garanti un rôle plus important si son plus grand critique en interne était écarté.
Mais des sources françaises pensent que von der Leyen s’est jouée de Macron en donnant à son protégé Séjourné un poste moins influent que celui de Breton.
Macron “a échangé quelqu’un qui osait s’opposer à von der Leyen contre quelqu’un avec une personnalité beaucoup plus molle”, analyse un troisième diplomate de l’UE. Ce dernier ajoute que la grande crainte de Paris avant les élections européennes de juin dernier était de voir une von der Leyen gonflée à bloc.
Une source haut placée à la Commission conteste la personnalisation de la nouvelle Commission, soulignant que la structure actuelle permet une approche plus “holistique”.
“La logique est d’essayer d’améliorer la structure et la capacité de coordination, c’est la logique sous-jacente”, détaille cette même source. “Mais en fin de compte, c’est le collège qui décide des questions politiques que nous avons devant nous.”
Acte II
Le fait que von der Leyen a de plus en plus de pouvoir n’est pas une surprise.
Une fois les leaders qui dirigeaient l’UE affaiblis, cela laisse un vide à combler pour von der Leyen. En France, le président Macron a subi une lourde défaite lors des élections européennes de juin, face à l’extrême droite, et a ensuite dû affronter un scrutin national douloureux. En Allemagne, le chancelier Olaf Scholz s’inquiète pour son propre avenir, et le Premier ministre polonais Donald Tusk est préoccupé par des enjeux politiques internes.
“Il n’est pas nécessaire d’apprendre à von der Leyen à jouer le jeu du pouvoir”, avance le troisième diplomate européen. “Elle a vu le vide laissé par les capitales européennes et s’y est engouffrée.”
Elle a également de la chance que l’ancien Premier ministre portugais António Costa ait été choisi par les dirigeants de l’UE pour être son homologue au Conseil européen. Il est, certes, très respecté, mais on ne s’attend pas à ce qu’il s’oppose à l’Allemande (et il est certainement peu probable qu’il se prenne la tête avec à elle, comme l’a fait le chef sortant du Conseil, Charles Michel).
Reste que von der Leyen ne sera pas en mesure de diriger complètement l’Europe toute seule au cours des cinq prochaines années.
Elle a besoin que le Parlement européen donne le feu vert à son équipe pour qu’elle puisse commencer à travailler — idéalement le plus tôt possible. Enfin, von der Leyen doit veiller à ne pas trop s’éloigner des leaders européens et leurs ambassadeurs à Bruxelles afin de s’assurer qu’ils adhèrent à ses projets pour l’avenir de l’Europe. Et qu’ils ouvrent leur porte-monnaie pour les financer.
Clea Caulcutt a contribué à cet article depuis Paris. Sarah Wheaton depuis Strasbourg.
Cet article a d’abord été publié par POLITICO en anglais et a été édité en français par Jean-Christophe Catalon.
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